« Tu vas tomber, tôt ou tard ». Des mots percutants, tirés du blogue de Will Gadd, qui ont grandement influencé mon apprentissage en escalade hivernale. Cette phrase, pourtant contraire à la plus importante des règles, nous interdisant de chute sur une vis à glace, était épinglée sur le mur de mon premier appartement au Québec. La pièce était vide, blanche, un matelas de camping à même le sol. Comme seule décoration, une paire de piolets accrochés au mur, une photo des tours de Trango au Pakistan et des drapeaux de prière tibétains. Cliché, dites-vous?
Depuis, je suis en effet tombé en glace. L’impact mental de cette chute a duré quelques semaines, et la culpabilité m’a accompagné pendant plus longtemps que je n’ose l’admettre. Pourtant, en février dernier, en seulement 90 minutes, j’ai quadruplé mon nombre de chutes en escalade hivernale, tout en partageant la corde avec certains des meilleurs grimpeurs de glace du monde, lors de l’édition 2024 du Festiglace de Pont-Rouge.
Participer à la compétition a été un défi personnel majeur. La perspective de grimper les voies difficiles de Pont-Rouge, sous le regard de mes héros et des juges m’a amené au bord des larmes de nombreuses fois pendant les dernières semaines. Flash-back dans la cour d’école, je suis le dernier choisi pour être dans l’équipe. Au moins, cette fois-ci, le hasard s’occupera de former nos binômes.
Jour J, il fait -20 degrés Celsius. À l’ombre de la face nord, je vole, prenant chute après chute, dans une des voies les plus accessibles du site. Ce départ cuisant valide tous les doutes que j’ai pu construire le mois précédent. Cette matinée a été parmi les plus difficiles de ces dernières années. Évoluer au milieu des compétiteurs élites après avoir cumulé ces échecs était particulièrement déchirant. Éventuellement, pourtant, au fil de la matinée, la paix s’impose. Que me reste-t-il à perdre ? J’essaie d’avoir du plaisir, apprécier la grimpe, l’expérience. Vide d’objectifs, dénué d’égo, j’ai continué. Au final, avoir une belle journée en falaise avec mes amis était mon seul et dernier but.
J’ai finalement réussi à finir la voie la plus facile de la compétition. Passer la corde dans le relais a été un soulagement incroyable.
Sans prendre de repos, j’enchaine immédiatement avec une autre voie, puis une autre. Un piolet à la fois, une dégaine à la fois. Personne ne te regarde Tom, c’est dans ta tête. Vas-y tranquillement. Respire.
Éventuellement, je me suis retrouvé dans ma troisième voie, sans trouver la prochaine dégaine à clipper, et mes amis me criaient en bas que j’étais au relais. La surprise était totale, tant mes attentes s’étaient estompées.
Je suis arrivé dernier. Je ne pensais pas réellement réussir à détacher mon égo du classement, mais les rencontres incroyables, le support sans faille de mes amis et les difficultés rencontrées en chemin placent l’enduro du Festiglace 2024 au même rang que mes meilleurs accomplissements en Escalade. Autant qu’ouvrir une voie en solo au Cap Trinité, autant que mon premier sommet d’El Cap à Yosemite.
La communauté incroyable, les bénévoles et la qualité des voies sont toujours au-delà de toutes attentes. Le Festiglace de Pont-Rouge revit enfin, et il est à la hauteur de sa réputation internationale. À tous les humains impliqués dans cet évènement québécois, merci.